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Macbeth au pays des traders
La mise en scène d’Ivo van Hove est brillante, a même gagné en force, chargée des six ans d’histoire qui nous sépare de la première série de représentations.
Une refonte complète de la distribution et un nouveau chef rendent cette reprise encore plus passionnante, qui s’insère musicalement dans le regard sur Verdi porté par le Festival 2018, et sur le travail de Daniele Rustioni.
La direction de Daniele Rustioni évidemment très idiomatique, essaie de tisser les liens entre le Macbeth originel de 1847 et celui révisé de 1865, deux périodes créatrices très différentes du parcours de Verdi, elle a le rythme et l’agilité de celle de 1847 encore marquée par ce qu’on appelle le jeune Verdi, et elle a la noirceur de celle de 1865, plus profonde peut-être. Rustioni en marque la couleur sombre . Volontairement, sa direction refuse le brillant et les effets, elle laisse les voix s’épanouir et les accompagne, y compris en ralentissant un peu le tempo (Chœur des sorcières), elle répond aussi à la relative épure de la mise en scène. L'orchestre très au point a parfaitement répondu à la demande de couleur verdienne…Ainsi est-il lui aussi idiomatique. Rustioni affiche un sens des nuances particulièrement aigu, soulignant tous les raffinements de la partition sans laisser de côté le sens dramatique, et surtout sans jamais tomber dans l’histrionisme et la démonstration (ce que l’on nomme quelquefois en France par erreur italianité), y compris dans la fameuse scène du brindisi, plus inquiétante que brillante dans la mise en scène de Van Hove  : et Rustioni en rend parfaitement la couleur.
Don Carlos ou l'amour volé
À l’occasion d’une saison marquée par les 150 ans de la création de Don Carlos à l’Opéra de Paris, l’Opéra de Lyon propose à son tour Don Carlos pour son Festival annuel cette année consacré à Verdi pour marquer l’arrivée de Daniele Rustioni comme directeur musical.  
Raffinement et profondeur dans la fosse
Un travail d’une telle subtilité qui est tout sauf glacé, qui ne cesse de vibrer, est accompagné et respire grâce à une approche musicale de très haut vol dont il faut rendre grâce à Daniele Rustioni. Il n’est pas évident d ‘aborder un tel monument à 35 ans, à l’instar d’ailleurs d’un Claudio Abbado qui, à 35 ans avait aussi ouvert son mandat de Directeur musical à la Scala avec Don Carlo en 1968, dans   une production de Jean-Pierre Ponnelle, dix ans avant   celle de Luca Ronconi en 1977–78, il y a 50 ans…Souhaitons à Rustioni un destin comparable…
Rustioni fait entendre de l’œuvre des subtilités rares, en essayant de coller à l’ambiance de la version originale, qui n’a pas la même couleur que les versions dites italiennes. L’importance que Verdi accordait au texte, au mot, à sa couleur et à sa correspondance avec la musique doit être ici mise en valeur et affirmée par la direction musicale. Le texte doit systématiquement apparaître et jamais Rustioni ne couvre ses chanteurs. Il ne cesse de souligner la complexité de l’instrumentation et la variété coloriste de la partition avec un orchestre globalement au point à quelque scorie de cuivres près.   Il rend justice à une partition qui n’est pas linéaire, mais au contraire foisonnante, avec des jeux de correspondances de couleurs (acte I/acte V), avec un rythme qui sait épouser le rythme scénique, tout en accompagnement attentif des personnages et sans jamais écraser le plateau. Il répond au spectral scénique par une direction où au brillant superficiel sont préférées une précision chirurgicale et une couleur sombre et concentrée, dans une salle où l'acoustique sèche tuerait le brillant…
Bien sûr il y a des coupures   mais elles n’entachent jamais la linéarité de l’ensemble et son déroulé. Tout musicalement garde sa cohérence, y compris le ballet, évidemment dansant mais pas démonstratif dans une musique qui serait trop clinquante ou trop m’as-tu vu. ...
...C’est un travail d’orfèvre qui a été fait là sur la partition, en tenant compte de l’ambiance scénique, du son spécifique à la salle de Lyon, qui reste un cadre intime, tout en restant très attentif à la clarté de l’exécution là où il serait facile quelquefois de tonitruer, ou bien d’en souligner excessivement la noirceur, avec un orchestre très sollicité par trois Verdi successifs très différents en un week-end. Rustioni réalise un travail à la fois vibrant et équilibré et qui ne va sans doute cesser désormais de s’affiner. Pour Verdi, il va falloir désormais compter avec lui.
Il faut aussi noter la qualité du chœur, plus à l’aise dans ce Don Carlos que dans le Macbeth de la veille, dirigé par Denis Comtet, au phrasé impeccable, à la diction parfaite, très expressif, jamais en coulisses et toujours présent sur scène. Beaucoup de relief et de justesse qui marquent la qualité atteinte par cette phalange depuis quelques années.
Wanderersite, Guy Cherqui

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