REVIEWS | Forum Opera

Carré d’as

Une Adriana Lecouvreur en version de concert, c’est autant de perdu pour le spectacle. Plus de coulisses de la Comédie française, plus de fête chez le Prince de Bouillon, mais c’est autant de gagné pour l’orchestre, qui, placé sur la scène, rend visible le brio, la pétulance, la sensualité Art Nouveau (on disait Liberty en Italie) de l’orchestration de Francesco Cilea. Plaisir de voir l’excellent Orchestre de l’Opéra de Lyon en pleine lumière sur le podium de l’Auditorium…Le pétulant directeur musical de l’Opéra de Lyon [Daniele Rustioni], silhouette légère, mollet tendu, geste vif-argent, ne négligera rien de la palette multicolore et poudroyante de Cilea. Ni de ses grandes houles lyrico-voluptueuses aux harmonies riches en glucides, et sa direction tiendra toutes ses promesses et davantage encore…

Un opéra de chef

“La scène finale du 2 est un étonnant moment de théâtre musical (on songe à la scène homologue des Noces de Figaro) où l’on voit Adriana aider à la fuite de la Princesse. C’est uniquement par les couleurs de l’orchestre et sa respiration savamment conduite par Daniele Rustioni que se construit ici, à partir d’un bel interlude orchestral, moment suspendu quasi chambriste, un exaltant crescendo où s’entremêlent tous les thèmes, le « Tu sei la mia vittoria » de Maurice, absent mais présent dans les voix des deux femmes, le « O vagabonda » de la Princesse, « l’umile ancilla » d’Adriana. Opéra de solistes certes, et il faut que les quatre protagonistes soient à égalité, c’est le cas à Lyon, mais d’abord opéra de chef et cette version de concert le démontre à l’envi.

Ce que l’on constatera à nouveau lors du divertissement dansé du troisième acte. Les dix-neuf voix féminines du Chœur de l’Opéra de Lyon feront des prodiges de suavité dans « Dormi, dormi, o pasterello – Bel Pastor di Frigia » et l’orchestre mettra en valeur des pages symphoniques qui semblent se souvenir des ballets de Delibes, tour à tour pastorales, acidulées ou bruyamment chevaleresques. …

…Partition décidément très riche, où Cilea (qui après elle ne composera plus que Gloria, tragédie lyrique créée en 1907 et en restera là) semble vouloir s’essayer à tout, multipliant les changements d’ambiance, de tempo, de couleur orchestrale, les tensions et les détentes. Et Rustioni, tout en nerfs, en précision, mais onctueux quand il le faut, dans une évidente complicité avec l’orchestre, la défend bec et ongles…

…C’est la harpe qui, sotto voce, délivrera l’ultime accord parfait de ce concert qui l’aura été, lui aussi.”

Forum Opera, Charles Sigel

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