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Opéra : Mefistofele à l'Opéra de Lyon ou le rêve du diable

L'Opéra de Lyon aura de nouveau fait fort ! Décider de monter Mefistofele d'Arrigo Boito relève en effet d'une belle audace. Le seul opéra achevé du compositeur demeure peu familier des scènes lyriques, comparé aux adaptations qu'y connaît le mythe de Faust chez Gounod, Berlioz ou même Dusapin. Sauf à mobiliser un metteur en scène imaginatif et une distribution de haut-vol. C'est ce sur quoi a misé l'institution lyonnaise en faisant appel au régisseur iconoclaste Àlex Ollé de la Fura dels Baus et en confiant l'écrasant rôle titre à John Relyea, une des grandes basses du moment. Pari réussi ! Car voilà bien une mise en scène pour le moins spectaculaire, assortie d'un volet musical non moins incandescent, nouveau succès à l'actif du chef principal Daniele Rustioni.

...Personnage omniprésent de l'œuvre, le chœur est un autre atout de ce spectacle. Chœurs et Maîtrise de l'Opéra de Lyon y font montre d'une prestance et de qualités vocales hors pair, complètement investis dans une régie qui ne les ménage pas. Comme au final hymnique du Prologue, ou lors de la vaste fugue infernale qui clôt les déchaînements sabbatiques de l'acte II, un des moments les plus étonnants de la partition. Tout comme l'orchestre de l'Opéra dirigé avec brio par Daniele Rustioni. Le bouillant chef italien a la mesure de cette musique complexe et parfois déroutante. Où la luxuriance le dispute à une certaine austérité, les écarts dynamiques extrêmes à un ton résolument sombre. C'est que Boito cherche à concilier des éléments opposés, en tout cas disparates. Airs, duos, trios vocaux et vastes ensembles concertants sont soutenus par une instrumentation originale qui a peu d'exemple dans la musique de l'époque, habile à tracer l'univers sardonique : des cuivres menaçants, opérant souvent en coulisses, des bois traités dans le registre sombre, comme les bassons, unis aux cordes graves. Une partition qui ne renie pas les influences du Grand opéra français à la Meyerbeer, mais doit aussi peut-être à l'Œuvre d'art total voulue par Wagner, tout en favorisant une écriture mélodique très italienne. Ici défendue avec la même puissance évocatrice que celle dégagée visuellement par le spectacle. 

Jean-Pierre Robert, ON Magazine

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